Le processus visant l’adoption de l’Eco, la future monnaie commune des pays de la CEDEAO, avance à travers colloques et débats. Cependant, un aspect important reste en marge de ces discussions : la dématérialisation de la monnaie.
À l’heure où la dématérialisation progresse avec l’abandon des pièces et des billets au profit de la monnaie scripturale — cartes bancaires, virements, prélèvements automatiques — et l’essor des monnaies virtuelles, il est surprenant que ce thème ne soit pas central dans les débats.
Sam Foli Awli, informaticien et membre de l’Internet Society Togo, s’en étonne : « C’est surprenant que le débat ne va pas dans ce sens ».
Malgré la diversité des crypto-monnaies disponibles, comme le Bitcoin apparu en 2009 basé sur la technologie Blockchain, ces questions semblent absentes des préoccupations des acteurs impliqués dans le projet de l’Eco. Selon Fortuné Bawubadi Ahoulouma, avocat et expert en affaires publiques, la monnaie virtuelle n’a pas de statut légal : « Elle n’est pas émise par un État ou une banque centrale. Sa valeur n’est pas garantie par ces derniers. Elle n’a donc pas de pouvoir libératoire universel ». Cette absence de cadre légal semble freiner la considération de ces innovations monétaires.
Pour Sam Foli Awli, ce manque d’intérêt est préoccupant : « C’est un retard à rattraper plus tard. Si déjà, on ne commence pas à y penser… même si on ne veut pas l’adopter tout de suite, il faut déjà y réfléchir ».
Senamé Agbodjinou, anthropologue et fondateur du laboratoire populaire de la monnaie « The Currency Lab », partage cette préoccupation. Pour lui, « sortir du franc CFA devrait être une occasion d’une révolution plus globale ». Il souligne que l’émergence de l’Eco est discutée principalement par des économistes, sans intégrer les innovations numériques qui pourraient transformer le système.
Toutefois, Fortuné Bawubadi Ahoulouma révèle que des réflexions émergent dans certains États de la CEDEAO. En juillet 2021, les parlementaires de la région ont formulé des recommandations pour encadrer l’utilisation des crypto-monnaies en Afrique de l’Ouest. Ces recommandations concernent avant tout l’aspect réglementaire de la crypto-économie, et non la monnaie unique.
Le macro-économiste togolais Kako Nubukpo, commissaire à l’UEMOA, reconnaît également que la dématérialisation de la monnaie n’est pas abordée à l’étape actuelle : « Il ne faudrait pas que la dématérialisation de la monnaie nous fasse perdre ses fonctions essentielles : unité de compte, intermédiaire des échanges, et réserve de valeur ».
La monnaie virtuelle présente pourtant de nombreux avantages, notamment la réduction des coûts de production monétaire et la simplification des transactions. Selon Fortuné Bawubadi Ahoulouma, l’adoption d’une monnaie digitale de banque centrale pourrait « bénéficier de tous les avantages de la technologie Blockchain… réduire les coûts, améliorer la sécurité, et garantir l’horodatage et l’archivage des transactions ». Une telle évolution pourrait transformer les systèmes de paiement internationaux.
L’avenir de l’Eco reste incertain, mais une chose est sûre : la question de la dématérialisation de la monnaie mérite une place plus importante dans les discussions autour de cette monnaie unique.